Histoires de Noëls au troquet .Cosette 12.01.2009

Publié le par Hash

Histoires de Noëls au troquet  « La Re-naissance »   racontées par Gilga le chat.     Cosette  12 janvier 2009



Je m'appelle Gilgamesh le chat, Gilga pour les intimes, je suis confortablement niché dans le creux du canapé de Cornélius et Cornélia, fils du restaurateur et fille du vitrier , que j'ai suivis lors de leur déménagement dans la grande ville le 31 décembre dernier. A moitié assoupi, je rêvais et mon rêve me ramena au troquet « la Re-naissannce » là où j'avais vécu, je voulais savoir ce que devenaient mes amis.


Ce n'est pas que je n'étais pas bien traité chez le jeune couple, mais ils menaient une vie trépidante, n'étaient jamais là, n'avaient le temps pour rien.  J' avais profité des longues nuits pour pérégriner dans les rues et les immeubles de la ville. J'en avais vu des choses, en avais appris encore sur les humains. A l'intérieur des appartements, les gens dans la lumière ne pouvaient me voir sur leur balcon, mais moi je voyais tout ; le vieux couple du 3ème qui tous les soirs, lapait la soupe à la cuisine, s'essuyait la bouche en riant, leur chatte, une belle siamoise sur les genoux. Et les 3 enfants du 5ème qui faisaient plein de bêtises en attendant que leurs parents rentrent du travail. Il y avait aussi la jeune fille du 6ème, qui sitôt rentrée, mettait la musique à fond et dansait tout seule. Tous ces gens de toutes les rues de la ville se calfeutraient dans leurs cages illuminées dès que la nuit enveloppait la ville. Cela s'expliquait, ils avaient une peur ancestrale du noir, de l'inconnu, ils n'y voyaient rien.

Je me faufilai en douceur dehors et mis environ 2 heures pour atteindre la petite ville du troquet. Je saluai au passage mes amis de l'ombre, Nestor, Irma, Cacahuète, Blackie qui s'affairaient dans les poubelles ou guettaient leur proie.

Je pénétrai dans le troquet par la châtière, vis Marius derrière le bar, sa casquette de vieux marin vissé sur le crâne, toujours aussi débonnaire, blaguant, riant, trinquant avec ses amis. Personne ne fit attention à moi Je me coulai vers la porte du fonds, celle qui menait à la cave. Elle, la nouvelle de l'an dernier était assise à une table, en grande discussion et riait aux éclats. Cela me fit vraiment plaisir « elle est entrée en guérison, me dis-je. » Elle m'avait tant ému ce 25 décembre dernier, je me souviens de cette nuit de décembre de l'année précédente :


.................


De loin elle avait vu de la lumière, une lumière orangée, chaude. Elle marchait en serrant le col de son manteau, la bise soufflait,  seules quelques étoiles dans le ciel et cette lumière devant elle  la guidaient dans l'abîme profond de cette nuit. Ses yeux  coulaient encore, à la fois de chagrin, de désespoir et des effets du froid mordant. Elle avait marché longtemps, fuyant par les pas cette énorme déchirure en elle. Ils venaient de se séparer, ils ne s'aimaient plus, ou du moins le pensaient- ils. Elle avait couru dans les rues pour mettre de la distance entre elle et lui, entre elle  et cette douleur. C'était le soir de Noël, il était parti chez ses parents pour quelques jours et pour entamer le temps de l'oubli.

 

Elle continua à marcher vers cette lumière qui s'imposait  par une fenêtre à petits carreaux d'un troquet. Elle s'approcha, tenta de voir à l'intérieur, distingua nettement une dizaine de personnes, hommes, femmes, assis autour d'une grande table qui semblait crouler sous les mets, et de la musique, une musique qu'elle connaissait d'avant et aimait. Une valse joyeuse, entraînante. Elle n'hésita pas longtemps, poussa la poignée de la porte qui fit tinter un carillon. Elle se tint là,  surprise de son audace, quand tout le monde leva son verre et lui dit :

« entrez, entrez, nous vous attendions »

 

Comme pétrifiée par cet accueil, elle se laissa entraîner vers une chaise, prit le verre qu'on lui tendait, sourit et dit : »merci, joyeux Noël ». Tout se bousculait dans sa tête, il y avait encore un instant, c'était la solitude, l'obscurité, l'incertitude et le chagrin et maintenant  tous ces gens souriants, la lumière , la joie. Comment la vie peut elle vous faire basculer aussi vite d'un état à un autre ?


Elle but quelques gorgées et regarda autour d'elle :  surprenant, ! sur la table, il y avait des plats en petites quantités, mais très variés : de la fondue savoyarde, des escargots de Bourgogne,  une paella, un rizotto, du couscous, des pitas, des rouleaux de printemps et tant d'autres, et des vins, et sur un poêle dans le coin, une grande marmite contenant des chopes de bière  laissées à tiédir... Des odeurs, des odeurs qui ne s'opposaient pas, ne se disputaient pas, mais créaient une subtile alchimie.... Sur un coussin à côté du poêle, roulé en boule, un chat, un beau chat tigré aux longues moustaches, qui ne dormait que d'un œil.

Elle se détendit complètement et se mit à bavarder avec ses voisins.


Une chinoise en robe de satin lui dit : » encore bienvenue, ne vous étonnez pas, ici c'est l'auberge de la "Re-naissance", nous sommes quelques uns à nous réunir ici chaque Noël, car c'est ici que comme vous, un soir quelqu'un nous a dit « » entrez , nous vous attendions » »


Chacun de nous a erré au hasard un soir de Noël, dans l'ombre et le froid, et la lumière de cet endroit nous a attirés. C'est un lieu qui a le pouvoir de vous réchauffer le corps et le cœur, c'est un lieu où l'on vous écoute sans vous questionner, où on ne vous demande pas de parler, où tout simplement on est là ! »

 

Oui », dit un homme dans la cinquantaine, grand, bien mis et avec de l'allure. Autrefois, avant de venir ici, j'étais dans le monde politique, je ne voulais que réussir, avoir du pouvoir, jusqu'au jour où un événement douloureux arrêta cette folle course.


« Moi, sourit une jeune femme d'une trentaine d'années, très élégante et très belle, j'étais allée à Paris pour des défilés de mode. Je voulais plaire à tout prix, je voulais des bijoux, des studios, des lumières et j'étais aveugle à tout le reste, jusqu'au jour où l'obscurité me happa et me broya. »

 

Une autre femme dans la quarantaine se leva, son visage était avenant, doux et rayonnant.

« j'ai échoué ici un soir de Noël, parce que je n'en pouvais plus, je venais de prendre conscience de l' enfermement consenti pendant des années dans une belle maison, à n'être qu'au service d'un homme indifférent et d'enfants tyranniques. Moi, je n'étais plus rien, je m'étais perdue »

 

« Oui, dit alors le patron du troquet, un charmant rondouillard, au teint coloré, aux gestes amples, une casquette de marin sur la tête . Je les ai tous vu ouvrir cette porte un soir de Noël, épuisés et blessés par leur vie,  perdus, déroutés. Moi aussi j'avais connu une  phase de ma vie obscure, angoissante, égoïste, aveugle, j'étais dans un goulot, une nasse, prisonnier des mes ambitions , de mes barrières et je pensais que j'allais mourir ainsi. Alors j'ai  fait de cet endroit une vraie maison familiale et cela fait des années maintenant que nous ouvrons la porte ce 25 décembre à celui ou celle qui la pousse.

Mais pour que vous puissiez comprendre  pourquoi j'ai rompu avec une vie antérieure, pourquoi j'ai pris conscience de son absurdité, avec ce besoin de profond changement, la nécessité d'exister différemment, de trouver l'harmonie, je vais vous raconter ce qui m'a amené ici  voici l'histoire de ma famille:

.......................


Mon grand père , mon père et mon oncle étaient tous vanniers, c'était ainsi de père en fils, j'étais destiné à le devenir aussi. Tout petit déjà, je passais beaucoup de temps dans l'atelier de mon grand père. Avec mon père, ils cultivaient l'osier... Je me souviens de toutes ces heures où ils cuisaient, épluchaient  les pousses d'osier et de chataignier. Ils en avaient les mains toutes abîmées  Il faisait froid, car l'osier se récolte en hiver, c'est là que les tiges sont hautes et flexibles. Ils les trempaient ensuite dans l'eau pour les trancher plus facilement. Pendant ce temps ma mère préparait les teintures  dans de grands seaux. On allumait un vieux poêle dans l'atelier ,  on s'asseyait autour et je me souviens  de l'odeur de la soupe de choux de ma mère mêlée à celle des teintures . Je les observais, leurs gestes étaient précis, mécaniques, que pensaient ils alors ??? c'était leur vie de tailler les brins avec le fendoir ou le tranchet. Une fois que les tiges étaient sèches, cela pouvait durer de 10 jours à 6 mois selon le temps, commençait le travail de tressage, c'était ce que je préférais... J'admirais l'agileté de leurs doigts, qui tressaient, tressaient, les tiges s'entrelaçaient,  se courbaient, s'assemblaient, formaient peu à peu de façon magique  un panier,  une corbeille, un dessous de plat. Et dans l'atelier alors, montaient des tas d'objets  de toute taille, chacun était pour moi une œuvre d'art. Le dimanche, ils allaient vendre dans les foires et les marchés. Peu à peu, je les imitais, car j'avais déjà tout  enregistré et j'appris vite. La vie était dure pour eux et deux mains de plus   n'étaient pas de trop . Ils m'ont tout appris, tout transmis. Je ne me posais pas de questions., je suivrai la même route..

A mes 15 ans, mon oncle, vannier lui aussi, proposa à mon père de m'emmener avec lui dans un petit village du bord de mer. Il m'apprendrait à fabriquer des nasses en osier. De plus il fallait bien quitter un peu le giron familial et connaitre le monde. Les parents approuvèrent et je partis donc, curieux et un peu triste.



Je découvrais alors la mer et j'en tombais littéralement amoureux. Je passais des jours à la regarder, gronder, lécher le sable....elle me fascinait Très vite je partis avec des pêcheurs en mer, le vent me grisait, je me sentais libre.  J'oubliais tout, j'étais avide d'apprendre à pêcher. La mer, le vent me grisaient. Je ne vivais que par eux. J'appris aussi à tresser des nasses avec mon oncle. Alors une nouvelle vie fascinante se déroula.  Je sortais très souvent en mer, j'oubliais tout.  Le reste du temps je travaillais avec mon oncle qui m'avait appris à tresser des nasses, en saule. C'était un travail passionnant de fabriquer des bourgnes,  ces nasses en forme de bouteille. On en faisait de toutes tailles : des nasses rigides, en ronces d'églantier pour les anguilles, des tonneaux pour les grands poissons, des  bouroles, petites nasses pour les moules et les crevettes et surtout  des bouteilles en osier pour capturer les petits poissons. Plus je remplissais ces nasses, plus j'en vendais, plus je gagnais de l'argent. Je n e me posais aucune question. Le mer me donnait tout ce que je désirais.


J'ai connu aussi l'amour, me suis marié à une fille de pêcheur, et nous  eu u fils  Yann. Mais les femmes de pêcheurs sont malheureuses, je  n'ai pas su la garder, j'étais ou en mer ou avec les copains, ou a tresser des nasses. Un jour elle est partie et je suis resté seul. Je me suis grisé  sur les flots, mes nasses ont servi à capturer des centaines et des centaines de poissons qui scintillaient au soleil, la vie passait, je ne me posais pas de questions, c'était ainsi, ...

Jusqu'au jour où je fis un rêve très étrange..... J'étais tombé à la mer de mon chalutier, parce que les nasses que je ramenais au port étaient trop pleines et que le vent soufflait trop fort. L'eau était glacée et je savais que je ne survivrai pas. Toute ma vie défila devant mes yeux pendant que je coulais ....Alors des milliers de poissons  argentés vinrent former une nasse autour de moi, m'enveloppèrent,  me bercèrent dans les flots. Je me sentais bien, je glissais avec eux dans l'eau comme un poisson, je me confondais avec eux, leurs yeux brillaient comme de étoiles. Ils m'emmenèrent vers le rivage et me déposèrent sur le sable. Ils s'éloignèrent alors avec des longs chants plaintifs.  J'étais sauvé ! Ils m'avaient sauvé ! Je me réveillais en sursaut.

Alors, je sus que ma vie allait changer ! Pour la première fois je pris une décision ! Celle de prendre une autre voie ! je ne serai plus vannier, je ne fabriquerai plus de nasses.... Je ne capturerai plus de poissons. Je ne  voulais plus participer à cela. J'avais le choix.

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Dans les jours qui suivirent, je vendis mon chalutier, pris mes économies  et quittai ce village de pêcheurs.

Je marchai des jours, dormant dans des auberges, je ne savais trop où aller, mais je me sentais libre pour la première fois de ma vie. Mes parents étaient morts, ma compagne et mon fils étaient partis, j'étais libre, mais seul, profondément seul.  J'errais dans un village, cherchant une boulangerie, il faisait nuit, froid, il n'y avait personne dans les rues, sauf les chats et les chiens errants. Je vis alors une petite lumière tremblotante, en m'approchant je vis que c'était la lueur d'une bougie dans un petit bistrot. Derrière la bougie, une vieille femme avait un bol fumant  dans les mains. Hésitant je frappais et j'entrais : elle me dit : entrez donc, il fait froid, voulez vous un bol de soupe  et un morceau de brioche ?  C'est Noël, vous ne trouverez personne dehors.

Alors je m'assis, je partageais cette soupe fumante et je lui racontai ma vie. Elle m'écouta longuement, me proposa de m'arrêter ici, car justement elle vendait le bistrot car elle était trop vieille pour continuer à s'en occuper. Elle me raconté la vie de ce bistrot qu'ils avaient tenu longtemps elle et son mari. Elle parla des gens qui y étaient venus, de tous bords, heureux, malheureux, de leurs confidences. En écoutant cette vielle femme, j'ai compris que c'était la charnière dans ma vie, que c'était là que je pouvais être un maillon d'une grande chaîne pour échanger, au lieu de tresser des nasses de mort, je tresserai des nasses de vie. J'ai acheté ce troquet et il redevint ce lieu accueillant, chaud, où chacun pouvait s'arrêter, parler , prendre un verre, rester un peu...


Chacun de nous ici a suivi le chemin de ce bistrot, est reparti différent. Tous reviennent chaque année fêter la RE-naissance. « « 


 

Elle avait écouté en silence  l'histoire de Marius, presque religieusement et ne dit mot .Elle se dit qu'il n'y avait de hasard.

 

« Allons crièrent certains, à table, chacun a préparé un plat de son pays et de sa région et nous allons goûter et boire de tout. Bon appétit, santé à tous »

Des ondes de lumière, de joie, de bien être flottaient dans l'air et vous enveloppaient. Ah que c'est agréable, sourit la femme. Peu à peu,  le voile froid et obscur en elle se leva, elle laissa cette nouvelle chaleur la pénétrer, l'apaiser.

 

Elle sentit alors  ma patte  se poser sur sa jambe, je  poussai un léger miaulement et me dirigeai vers une porte au fond du troquet.  je fis  des allers-retours et intriguée elle se leva, me suivit. Je lui dit d'ouvrir la porte, elle le fit... tous les autres étaient occupés à chanter, à boire et à manger.  Elle me suivit dans un escalier qui menait dans un dédale de caves, comme un labyrinthe. Je continuais à l'inviter à continuer, à ne pas avoir peur. Au bout  de ces dédales, il y avait deux portes Lentement, sur un signe de ma part, elle poussa celle de gauche : elle donnait dans une ruelle sombre que seules des étoiles égayaient. Elle la referma vite, car son cœur se serra d'angoisse. Elle alla vers la seconde porte, l'ouvrit  et fut presque aveuglée par une forte lumière, si forte qu'elle mit un moment à distinguer qu'au bout il y avait  une grande salle de restaurant, de lettres de feu de l'enseigne « L'Avenir » l'aveuglèrent, il y avait beaucoup de gens qui criaient, chantaient à tue tête, dansaient comme des fous sur une musique bruyante, elle entendit aussi crier  le 14 ! gagné... Elle referma doucement cette porte, sourit, fit demi-tour pour se rendre compte que j'avais disparu, et vit alors une vieille plaque en cuivre que je lui avais glissée où elle put lire : »Le temps met tout en lumière » Thalès. 

Elle soupira, refit le chemin inverse vers la salle du troquet et alla retrouver ses nouveaux amis.

 

La soirée se déroulait sur un air festif et chaleureux.  Vers minuit, le patron du troquet se leva et dit :

« mes amis, c'est l'heure, comme chaque année, allons acheter des bougies et des cierges chez Lucie et rendons nous à la chapelle pour les allumer et les brûler »

 

Tous se levèrent et chez Lucie, une petite vieille toute ridée, ils s'approvisionnèrent de ces  bâtons de cire  qu'on emmenait à l'église pour commémorer un saint ou en mémoire d'un être cher.

C'était une toute petite chapelle, ancienne, au fond une grande crèche pour rappeler la naissance de Jésus. Chacun alluma  et posa sa bougie près de la crèche. Il faisait froid, mais toutes ces petites flammes vacillantes illuminaient les visages et chacun se sentait en symbiose avec les autres. Leurs pensées les ramenèrent à leurs Noëls d'enfant pour certains, les souvenirs affluaient, les visages des parents, grands-parents, oncles et tantes redevinrent vivants. Certains ne connaissaient pas Noël, mais ils partageaient de grand cœur ce moment de recueillement.

Lorsque toutes les petites flammes s'éteignirent, il flotta dans la chapelle une subtile odeur  de passé et de présent..

Ils quittèrent tous la chapelle et c'est là que la femme s'étonna de l'absence d'une partie du vitrail. A la place,  on avait mis un  carreau en verre comme celui d'une banale fenêtre. Pourquoi n'avait on pas remplacé le vitrail ?

On lui expliqua que cette chapelle était presque abandonnée et que le vitrier avait préféré y mettre un simple carreau d'où un pourrait voir des deux côtés ; ce qui était plus pratique pour tout le monde et rendait les choses plus transparentes.

 

A la porte du troquet les attendait un personnage haut en couleurs et en verbe : « Bonsoir mes amis dit-il,  Joyeux Noël, joyeux Noël...que je suis heureux de vous voir. Comme chaque année j'invite ceux qui le désirent dans mon grand restaurant « l'Avenir » sur la grande place. Il y a beaucoup de monde, la fête bat son plein. Il  va y avoir une grande tombola, venez  jouer, venez tenter votre chance...à qui le tour cette année ?. »

 

Chaque année cela se passait ainsi. C'était aussi  le moment venu de cette fin de soirée de Noël  où certains décidaient de repartir dans la nuit, d'autres de rester encore un moment au troquet avec Marius, cela les rassurait, ils étaient bien ainsi,  d'autres par contre, toujours deux ou troisi prenaient le chemin du restaurant, de la grande lumière, de la tombola...

Ils se dirent à l'année prochaine, même jour, même heure, même lieu....


La ruelle retrouva à l'aube son aspect habituel, un  camaïeu  d'ondes.

 

Vers le jour de l'an,  un camion de déménagement vint charger quelques meubles  dans la maison jouxtant le troquet et un jeune couple , Cornélius, le fils du retaurateur et Cornélia, la fille du vitrier qui s'aimaient depuis longtemps, s'étaient mariés, déménageaient vers une ville plus grande.

 

Intrigué, je m'assis sur le pas de la porte et observais la scène. Lorsque le camion de déménagements démarra en trombes vers la sortie de la ville, je fis un bond, sautai et  m'installai en douceur entre le jeune homme et la jeune femme. J'avais très envie de faire des découvertes, ici l'hiver serait long, j'allais ronronner bien sûr au coin du feu, mais m'ennuyer aussi. Les deux tourtereaux étaient si excités de partir, qu'ils mirent un certain temps avant de me découvrir. Mais tout à leur bonheur, ils me caressèrent  et me gardèrent avec eux. C'était il y a un an.....

 

................

Ah ! soupirais-je , quels souvenirs ! en tous cas elle a l'air heureuse et j'en suis bien content.

Je traversai rapidement les couloirs obscurs des caves et poussai la porte de gauche, celle qui menait vers la nuit, les ténèbres. Je m'éloignai, pris le chemin de la petite montagne et reconnus au loin mes deux amis de toujours, Avicenne le vitrier et Attar le propriétaire du grand restaurant « l'avenir ». Bien emmitouflés dans leurs manteaux, ils cheminaient lentement en bavardant paisiblement. Leurs pas suivaient la lumière de l'étoile polaire et ils n'avaient aucune difficulté à trouver leur chemin, ni aucune peur de se tromper. Je me frottai à leurs jambes en leur disant «  je vous donne des nouvelles de vos enfants, Cornélius et Cornélia. Ils vont bien, ils attendent un heureux événement, mais ne le savent pas encore. »

Avicenne et Attar sourirent et me caressèrent .Je les accompagnai un moment et écoutai leur conversation :


« Cette année encore, dit Attar, plusieurs habitués de chez Marius au troquet m'ont suivi dans mon restaurant . Ils ont eu envie de découvrir d'autres personnes, d'autres plats, d'autres lieux.  Ils ont  cheminé longtemps, ont hésité, ballotés dans leurs doutes. Ils savent à présent qu'il est impossible d'apprécier la Lumière sans connaître les ténèbres. L'obscurité leur fait moins peur, ils sont plus confiants, Tu as toi, Avicenne, contribué à cette transformation. Tu leur a donné les clés de la transparence, tu leur a permis de franchir le passage, de régler leurs conflits. »


« Oui, dit Avicenne le vitrier, ils ont compris que la Lumière doit se confronter à l'obscurité, que les deux  sont indissociables.  Ainsi ils ont pu admettre de vivre avec la part obscure et la part lumineuse de leur vie. Ils tissent maintenant leur  avenir dans un nouvel équilibre. Il connaîtront l'inertie matérielle qui fait régresser, l'inutilité de l'ambition du pouvoir, la fragilité des relations humaines »



Tard dans la nuit, mes amis avaient discuté longtemps sous le ciel étoilé, les lumières du troquet « la Re-naissance » et celles du restaurant « l'Avenir » s'étaient éteintes et la petite ville respirait doucement dans les ténèbres. Je fis un brin de toilette, me mis en boule à la porte de la petite chapelle. Il fallait que je dorme un peu avant de reprendre le chemin de ma nouvelle demeure et retrouver Cornélius et Cornélia.



 «  Auront-ils appris que la lumière voile en dévoilant et que l'obscurité dévoile en voilant ?  Se souviendront ils des mots inscrits  sur la plaque de cuivre gravée dans la cave du troquet « re-naissance »  « Le temps met tout en Lumière » Thalès.





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