Deux Freres (Serge mars 2009)

Publié le par Hash

Deux frères

Chapitre I

 

Lorsque Brahim naquit, Al-Mansûr le calife de Bagdad, son père, guerroyait contre Selim, celui de Damas. Les motifs des guerres peuvent paraître futiles au peuple qui va subir invasions, meurtres, tortures et famines. La raison officielle était que le calife de Damas avait fait enlever par ses reîtres une jeune esclave, propriété personnelle d'Al-Mansûr, dont il était tombé amoureux lors d'une visite à Bagdad.

La véritable raison, c'était la mine de diamants située sur les terres d'Ali, et que Al-Mansûr convoitait depuis longtemps.

Trop occupé à faire la guerre, Al-Mansûr confia l'éducation de Brahim à ses femmes et à quelques vieux soldats. Le résultat fut que Brahim ne reçut aucune éducation, ni guerrière ni pratique. Il ne savait pas changer la roue d'un char ni tirer le cimeterre contre un malandrin.

Cinq ans plus tard, la paix étant revenue dans la région et le calife de Damas étant toujours maître de sa mine de diamants, naquit Sindbad.

Son père ne voulut pas recommencer la même erreur qu'avec son aîné et entreprit de « faire un homme » de son deuxième fils.

Le calife avait bien sûr beaucoup d'autres enfants, mais ces deux-là étaient les seuls qu'il avait eus avec Shéhérazade, sa favorite depuis sept ans.

À quinze ans, Sindbad avait plus d'expérience dans tous les domaines, art de la guerre, diplomatie, culture, commandement etc.. que Brahim à vingt ans.

Sindbad menait une vie très agréable, faite de festivités, d'études avec les plus grands érudits de la région, changeant d'esclave de nuit chaque semaine.

Brahim restait enfermé dans ses appartements, lisant des livres saints, parlant avec sa mère.

Un jour, un banquet fut donné en l'honneur d'un célèbre navigateur. Cet homme rapportait des épices, des tissus et des armes provenant du lointain pays des Han, à l'endroit où, disait-il, se lève le soleil.

C'est ce soir-là que naquit la vocation d'explorateur de Sindbad. À compter de ce jour, il se fit appeler Sindbad le marin. Al-Mansûr son père, donna son accord pour affréter un navire, à condition qu'il emmène avec lui Brahim, son timide grand frère. Connaissant le caractère de son père, Sindbad accepta. À contrecœur mais le calife, ne souffrant pas la moindre contradiction, était capable d'annuler l'expédition.

Sindbad avait bien l'intention de se débarrasser de son frère si celui-ci commençait à devenir encombrant.

Le jour du départ arriva enfin. Al-Mansûr avait fait construire en urgence une felouque assez grande pour recevoir trente hommes d'équipage, les deux frères, des armes et des provisions pour trois lunaisons.

Une felouque mesure entre 8 et 13 mètres de long et 3 mètres de large. Pour Al-Mansûr, les charpentiers avaient construit un bateau comme personne n'en avait jamais vu. Un monstre de 30 mètres sur 7 avec deux voiles et, comme pour les felouques ordinaires, son plancher posé sur toute sa surface. C'était la première fois que les deux frères partaient en mer. Les deux premiers jours furent un long martyre pour Brahim, qui passa du vert au jaune et au rouge jusqu'à ce qu'un marin lui donne la recette pour éviter le mal de mer. Il fallait simplement adapter sa démarche au roulis, comme on accompagne le galop d'un cheval. Quelques heures plus tard, Brahim gambadait comme un enfant. Libéré de la tutelle parentale et de l'angoissante question d'équilibre, Brahim s'éveilla soudain. Il posait sans cesse des questions au felouquier, commençait même à donner des conseils à l'équipage comme à son frère. Vite lassé par cette compagnie inhabituelle, Sindbad réfléchit à l'idée de se débarrasser de son grand frère.

Il n'eut pas le temps de réfléchir très longtemps. Brahim, enthousiasmé par ses nouvelles expériences, prit à part son frère et lui dit :

- Sindbad, j'ai une idée. Toutes ces découvertes que j'ai faites ces deux derniers jours m'ont convaincu d'une chose. Je suis certain de pouvoir me débrouiller seul dans n'importe quelles conditions.

Je veux que tu me débarques sur la première île que nous rencontrerons.

Réfléchis bien grand frère, répondit Sinbdad, tu crois pouvoir t'en sortir facilement, mais tu peux être, tu seras confronté à des périls dont tu n'as même pas idée. Des ennemis inconnus, des animaux féroces. Il te faudra apprendre à te défendre, à préparer des pièges, faire à manger etc..

J'ai déjà trop réfléchi dit Brahim. Je suis décidé à tenter l'expérience. Vous me reprendrez à votre retour.

Tu es l'aîné, tu as le droit de décider de ton sort. Viens avec moi, nous allons demander au felouquier où nous pourrons te déposer.

Ali le Persique, toi qui est le plus expérimenté navigateur de Bagdad, tu dois savoir dans combien de temps nous allons rencontrer une île !

Ah ! Sindbad, c'est toi le marin. Mais je crois que l'île de Mayyun sera visible dans trois jours. Si les vents restent favorables.

Tu l'as déjà visitée ? demanda Brahim

Il y a bien longtemps Brahim, répondit le vieux marin. Qu'est ce que tu veux savoir ?

Hé bien ... Est-elle habitée ? Par des humains, par des djinns, par des animaux féroces ?

J'avais rencontré des hommes noirs là-bas. Pas très bavards mais pas hostiles. Et pas du tout partageurs. Il est vrai qu'il n'y a pas grand-chose à partager. Je me demande comment ils font pour vivre dans ces conditions. Peu de végétation, peu d'eau, peu d'animaux sauvages. Quant aux djinns, nous avons dû leur faire peur. Nous n'en avons pas vu un seul.

Bien, dit Brahim, vous me débarquerez sur Mayyun dès que possible.

Mais tu es fou s'affola Ali le Persique, tu ne pourras pas survivre sur ce caillou. Et ton père me fera dépecer et jeter aux lions si je ne te ramène pas vivant.

N'aie pas peur Ali. J'ai appris beaucoup de choses pendant ces quelques jours de navigation. Je suis certain que je n'aurai aucun mal à m'adapter.

Ainsi fut fait. Brahim débarqua sur l'île de Mayyun trois jours plus tard, avec armes, bagages et nourriture. Et seul.

Ses compagnons partis, il commença par vouloir construire une cabane. Mais il devait avant tout connaître son nouvel environnement.

Il se trouvait dans une petite crique. Il grimpa lestement les rochers et, arrivé en haut, fut subjugué par la beauté du paysage. L'île était relativement petite, peut-être dix kilomètres de diamètre, en forme de croissant très refermé sur lui-même, délimitant ainsi une baie et plusieurs criques formant un port naturel. Elle pouvait culminer à 50 ou 60 mètres d'altitude, et était constituée de lave et de débris calcaires. La végétation était assez pauvre, des pins plutôt rabougris et, bizarrement, des arbres fruitiers qui avaient l'air bien chargés. Au loin sur sa gauche, il vit une colonne de fumée s'élever dans les airs. - Tiens, se dit le nouvel explorateur, je vais rendre visite à mes nouveaux voisins.

Et, d'un pas alerte, il se mit en route et eut tôt fait d'arriver près du campement. Soudain, branle-bas de combat. Un enfant ayant vu arriver un inconnu, se mit à hurler et courut vers sa mère. Aussitôt, cinq guerriers en armes accoururent et s'interposèrent. Comme l'avait dit Ali, ces gens étaient noirs, d'un noir d'ébène comme Brahim n'en avait jamais vu. L'enfant était nu, sa mère portait un tissu bariolé autour de ses hanches et donnait le sein à un bébé. Les guerriers quant à eux, portaient lances, arcs, et également des poignards à la ceinture. Celui qui semblait être le chef en portait trois. Peut-être des prises de guerre. Ils étaient juste vêtus d'un pagne, rouge pour le chef, noir pour les autres. Tous portaient de nombreuses amulettes autour du cou, aux bras et aux poignets. Voyant que Brahim n'avait pas d'armes, ils se détendirent et le haranguèrent dans leur sabir. Brahim ne comprenait rien à ce langage mais visiblement, il n'était pas le bienvenu. Les guerriers criaient et faisaient des gestes qui, sans équivoque, disaient : - Vas-t'en, sinon il va t'en cuire.

Se rappelant de la réflexion d'Ali le Persique, Brahim préféra en rester là, tout en sachant que s'il avait perdu une bataille, il n'avait pas perdu la guerre.

- Montuiri, cria t'il à l'adresse des cinq hommes, je reviendrai. Et, tournant le dos, il s'éloigna.

En retournant sur « sa » plage, Brahim décida de prendre son premier repas d'homme libre. Il cueillit quelques abricots, plus petits que ceux de son pays mais très sucrés. Un gros lézard s'enfuit devant lui. Il essaya de l'attraper, mais son expérience toute neuve ne lui permit pas de prendre sa première proie. Il se consola en se disant que demain était un autre jour et qu'il en trouverait certainement de moins rapides. Il retrouva facilement le lieu du débarquement. Il tira ses biens un peu en hauteur et, fatigué par les émotions, se coucha sur le sable et s'endormit.

Durant la nuit, la fraîcheur le gagna et le réveilla. Il sentait une boule chaude contre son flanc droit. D'abord paralysé par la terreur d'avoir été repéré par un Djinn, il finit par oser regarder et la lune éclaira un jeune chien lové contre lui. Brahim n'affectionnait pas particulièrement ce genre d'animal, mais un peu de compagnie ne pouvait pas nuire. Et, dans le cas où la cohabitation ne fonctionnerait pas, il pourrait s'en nourrir pendant plusieurs jours.

Lorsque le soleil pointa à l'horizon, il caressa doucement le chien pour l'apprivoiser et lui parla.

Bon, comment je vais t'appeler toi ? Qu'est ce que tu dirais de ... Ataï ? Le chien, tout heureux que Brahim lui parle et le caresse, remua joyeusement la queue et poussa un petit jappement.

Hé bien, c'est décidé. Puisque tu es d'accord, tu t'appelles Ataï.

Un détail, essentiel cependant, lui vint à l'esprit. Il avait des vivres et de l'eau pour plusieurs jours, mais il lui faudrait trouver au plus tôt une source et des moyens de subsistance. Des fruits ne pouvaient suffire à nourrir un homme de vingt deux ans.

Le chien sur ses talons, il commença à chercher des jeunes arbres afin de construire un abri. Il y avait du bois mort en abondance. Le problème du feu ne se poserait donc pas.

Notre naufragé volontaire ne se sentait pas de commencer immédiatement à construire sa maison. Il avait envie de visiter l'île, de repérer une source, de voir s'il y avait du gibier. Il se dit que l'océan le pourvoirait en poissons et crustacés, mais il aimait bien aussi la viande. Il partit donc à l'aventure, mais du côté opposé à la fumée qui montait toujours dans le ciel. Il ne souhaitait pas précisément revoir les autochtones aussi rapidement. Il valait mieux à son sens les laisser intégrer le fait qu'ils avaient un nouveau voisin. L'accueil serait peut-être moins violent dans quelques jours. Sachant qu'il ne pouvait pas se perdre dans un espace aussi restreint, il flânait, grimpait sur des petits rochers de lave pour mieux observer les alentours. Il avait remarqué un peu à gauche de son campement un pin plus grand que les autres. Il lui servirait de guide pour le retour. Le chien, mis en confiance, gambadait, courait après un lézard, venait de temps à autre quémander une caresse. Lorsque le soleil fut au zénith, Brahim décida que l'heure était venue de reprendre des forces. Debout sur une roche, il vit au loin une chose étonnante sur cette île, quelque chose qui ressemblait à une construction. Il remit son repas à plus tard et se dirigea vers son but. Lorsqu'il arriva, il découvrit avec surprise une assez grande maison en pierre, relativement bien conservée. Bien sûr, le toit n'était plus qu'un souvenir, mais il était très heureux d'avoir dès le premier jour trouvé une maison. Celle-ci était composée de plusieurs petites pièces, plus une très grande au centre qui avait pu être un jardin ou une pièce commune, et deux autres de taille moyenne qui pouvaient être des pièces de service. Une pierre creusée en son centre, avec un trou donnant sur l'extérieur, le confirma dans sa déduction. Il fit un tour complet de ce qu'il avait décidé être « son domaine ». Il décidait beaucoup ces derniers temps et c'était très agréable. Plus personne n'était là pour lui dire « fais ceci, dis cela ». C'était la LIBERTÉ !!!

En revenant vers l'entrée de la maison, il vit des inscriptions sur le montant droit de la porte. Il put lire une inscription en grec «xonoou таи о », qu'il traduisit approximativement par « Les cénobites tranquilles ».

Ainsi, ce bâtiment avait accueilli des moines. Combien de temps étaient-ils restés à cet endroit ? Étaient-ils rentrés chez eux ? Étaient-ils morts ici ? Avaient-ils été tués par la tribu d'hommes noirs ? Toutes ces questions, ces mystères, intriguaient Brahim. Il sourit en pensant aux inscriptions sur la porte. Maintenant qu'il allait habiter là, il pourrait à son tour graver quelque chose. Par exemple « chez Anachorète, ne pas déranger ». Mais ce qu'il souhaitait le plus était justement d'être dérangé. Et il ne pensait pas qu'un jour il serait ermite. Il lui faudrait trouver autre chose à graver. La faim commençait réellement à le tenailler et il se dit qu'il pourrait mieux réfléchir le ventre plein.

Ataï, plus malin que son maître, avait attrapé un lézard et le dévorait. Brahim se contenta de quelques galettes et de pêches qu'il avait cueillies durant son exploration. L'eau de sa gourde était fraîche et, le repas terminé, il s'assoupit.

De gros nuages noirs couraient dans le ciel. Le vent violent couchait les arbres. Le pin géant dans la cour du château résistait de son mieux, mais une bourrasque plus forte que les autres eut raison de lui. Il s'abattit d'un seul coup, lentement au départ puis, lorsque les racines ne le retinrent plus, se fracassa sur le toit des appartements du seigneur des lieux. Un cri effrayant se fit entendre à l'extérieur. Halim, abrité derrière les remparts, regarda par le créneau à sa droite. L'apparition le figea sur place. Une hydre, monstrueuse avec ses sept têtes, s'approchait à grande vitesse. L'une des têtes crachait du feu. Elle était caparaçonnée du cou jusqu'à la queue et, la chevauchant, un être démoniaque, tout noir, des petites cornes sur la tête, brandissait un trident.

Soudain, le silence se fit. Le vent s'arrêta de souffler et l'hydre de crier. Le petit monstre, debout sur ses étriers, d'une voix étonnamment forte et caverneuse pour un aussi petit bonhomme cria :

Mustapha, tu m'avais promis ta fille. Comme tu ne tiens pas ta promesse, je viens la chercher. Et pour te punir, je prendrai aussi ton fils. Tu les fais sortir ou je dois venir les chercher moi-même ? Si je dois entrer dans ton château, je prendrai aussi ton harem.

Brahim se reprit. La peur était partie d'un seul coup. Il prit une flèche enduite de poix, il y mit le feu. Il se leva, banda son arc et décocha. La flèche toucha l'hydre, pénétra dans une des sept bouches. Celle-ci poussa un hurlement terrible et explosa dans un bruit de tonnerre, envoyant des débris de chair à des centaines de mètres à la ronde. Le petit monstre avait disparu.

Brahim s'éveilla en sueur.

J'espère, se dit-il, que ce n'est pas ce lieu qui provoque de tels cauchemars. J'en aurai le cœur net. Cette nuit, Ataï et moi dormons ici.

Le timoré Brahim était devenu en quelques jours un être totalement différent. La responsabilité de son propre destin lui avait fait déployer ses ailes. À ce moment, il était encore une buse. Bientôt, il deviendrait un aigle.

Il retourna au campement, rassembla ses affaires et entreprit son déménagement. Il lui fallut deux voyages, chargé comme un âne, pour tout transporter dans sa maison. La nuit tombait et il passa sa deuxième nuit à la belle étoile. Aucun cauchemar ne vint le déranger cette nuit-là.

Après un copieux petit-déjeuner, il sortit de chez lui et partit en exploration. Il devenait urgent de trouver de l'eau. Sa réserve s'épuisait, ils étaient maintenant deux à puiser à la gourde.

Une idée lui vint subitement à l'esprit. Il était dans un ancien monastère. Les moines l'avaient probablement construit près d'une source. Pourquoi auraient-ils édifié ce bâtiment loin d'un point d'eau ? Il retourna à son nouveau logis. Tout d'abord, il fit silence afin d'entendre un éventuel bruit d'eau courante. Ataï était plutôt joueur. Brahim le maintint contre lui en le caressant, ce qui calma l'animal. Où pouvait-il y avoir une source ou un puits ? Il sortit et commença ses recherches. Il tourna ainsi en cercles concentriques, observant le moindre caillou. Quand il fut arrivé à trente mètres de la maison, il abandonna et rentra.

L'eau DEVAIT être plus près. Il parcourut toutes les pièces quand soudain, dans celle avec la pierre creusée, il fut attiré par un monticule qui traçait un cercle parfait. Intrigué, il enleva un par un les gros cailloux à l'intérieur du cercle, sur une hauteur d'environ quatre mains. À un moment, sa main toucha une matière différente. Il gratta un peu, c'était du bois. Brahim termina frénétiquement d'enlever le restant des cailloux et se trouva enfin devant un rond en bois très bien conservé. À l'aide de son poignard recourbé, il fit levier et se saisit de la planche. Un trou apparemment très profond lui apparut. C'était un puits !!! Une barre de métal le coupait en son centre. Une corde y était encore accrochée, ainsi qu'un crochet et un seau. Fou de joie et très fier de voir que son raisonnement était juste, il prit une petite pierre et la jeta dans le trou. Un temps interminable s'écoula. Un  «plouf» se fit enfin entendre. Il ne put retenir quelques larmes de bonheur. Mais il était seul, il pouvait se le permettre.

Il accrocha le seau à la corde et la fit glisser. Lorsqu'elle s'amollit, il sut qu'il était au fond. Il secoua un peu son cordage et sentit que le poids augmentait rapidement. Brahim remonta le seau en tremblant. Pourvu qu'elle soit bonne. Il appela Ataï et lui présenta le seau plein. Le chien se jeta dessus et but un long moment. Si l'eau n'avait pas été potable, il n'aurait pas bu. Brahim décida cependant de jouer la prudence. Il avait encore de l'eau dans sa gourde. Il attendrait le jour prochain en observant l'animal.

C'était incroyable. En deux jours, il avait trouvé une maison et de l'eau. Ses vivres étaient suffisamment abondants pour qu'il se permette de choisir entre la chasse ou la construction d'un toit. Il se décida rapidement pour le toit. Il abattit quelques arbres qui, même rabougris, étaient suffisamment grands pour servir de poutres, garda les troncs pour la charpente, et fit un tas des branchages. N'étant pas charpentier et manquant d'outils, notre homme pensa qu'un toit plat ferait l'affaire. Il installa avec beaucoup d'efforts les troncs en travers des murs d'une des petites pièces. Au moins au début, sa chambre serait à l'abri. Le reste serait fait plus tard. Mais qu'est ce qui pourrait servir de couverture ? Le sol était jonché de pierres plates de différentes tailles. Mais comment monter de pareils poids sur le toit ? Il était l'heureux possesseur de cordages. Il se fabriqua une échelle avec deux branches à peu près droites et les montants furent rapidement fixés avec les cordes.

L'indépendance, ça vous donne des muscles, au cerveau et aux bras.

Notre constructeur improvisé mais très organisé confectionna une sorte de berceau avec des morceaux de corde, afin de pouvoir monter les pierres tout en ayant les mains libres. Il avait suffi de nouer les deux bouts d'une corde pour, d'un côté la glisser sous la pierre, de l'autre côté la poser sur une épaule. Même opération de l'autre côté et en deux jours, le toit était monté.

Brahim estima qu'il n'avait plus que trois jours de nourriture dans sa besace. Il partit donc en chasse. Les traces d'animaux étaient rares sur les pierres chauffées par un soleil ardent. Il fit comme les rapaces. Il s'installa en hauteur et observa les mouvements alentour. Quelques minutes plus tard, une tortue s'aventura dans son champ de vision. La proie était facile, il se garda de triompher. Il pensa qu'il ferait bien de profiter de cette aubaine pour se perfectionner au tir à l'arc et au lancer de javelot. Il traça deux marques horizontales sur un arbre. L'espace entre les marques serait la cible. Pendant que la tortue cuisait lentement, il décocha encore et encore. Après le repas, il continua ses exercices. Lorsque les progrès se firent sérieusement remarquer, il changea de cible. Tantôt plus haut dans l'arbre, en imaginant qu'un oiseau était au bout de la flèche, tantôt plus bas, pour pouvoir atteindre un lapin ou un volatile au sol. Et toujours en réduisant ou en augmentant la distance entre lui et la cible. Le soir arriva, il ne sentait plus ses bras. Le travail inhabituel auquel il s'était livré pendant ces derniers jours l'avait ravi mais épuisé. Il se dit qu'un jour de promenade avec son compagnon leur ferait du bien. Il fut décidé à l'unanimité que ce jour serait le lendemain.

Il s'était demandé si la fumée de son feu ferait venir les hommes noirs. Si Mahomet n'allait pas à la montagne, la montagne irait à lui !

Le lendemain, il se mit en route de bon matin. Son plan était assez simple. Il voulait apprivoiser ces gens, apprendre leur langue et pourquoi pas, vivre avec eux. Ou au moins près d'eux. Les humains ont beaucoup de mal à vivre solitaires.

En chemin, il eut la chance de rencontrer un lapin et une espèce de dindon. Les animaux eurent la malchance de rencontrer un archer efficace. Il prit le temps de cueillir des fruits qu'il plaça dans sa besace.

Arrivé à proximité du village, il dissimula ses armes entre deux rochers. Il ne voulait pas que sa visite soit prise comme une provocation, voire une attaque.

L'accueil fut à peine moins violent que lors de sa première visite. Le chef et deux guerriers s'approchèrent en criant et, lorsqu'ils virent les gibiers dans les mains de Brahim, et que celui-ci tendait en cadeau, ils s'approchèrent. Le chef donna un ordre à un des deux guerriers. Celui-ci confia sa lance à son compagnon et s'approcha du visiteur. Il prit le lapin et le dindon. Brahim lui montra également l'intérieur de sa besace. L'homme la lui prit assez rudement des mains, la vida au sol et la lui rendit, vide. Il grogna une courte phrase qui pouvait être un merci. Les présents reçus, le chef entama un discours sur un ton assez véhément où il avait l'air de remercier pour les cadeaux, montra le chien en ayant l'air de dire que lui aussi pouvait être un gibier, mais visiblement, il ne voulait pas entretenir de relations avec l'étranger. Il refit les gestes qui signifiaient « vas-t'en ». Brahim sourit, s'inclina, tourna le dos et partit, Ataï sur ses talons. Un pas venait d'être franchi. La patience finirait bien par payer.

Il retourna chez lui en passant par le bord de mer. Il lui faudrait explorer toute l'île, connaître ses moindres recoins, reconnaître des caches, repérer des nids, des terriers, bref, tout savoir pour vivre et non pas survivre. Il tua encore un lapin. Le littoral ne ressemblait pas du tout à celui de la Mésopotamie. Chez lui, c'étaient des étendues de sable à perte de vue. Ici, la pierre noire dominait tout. Il remarqua une petite grotte qui pourrait servir d'abri. Il fallait juste pouvoir la situer par rapport à sa demeure. Il avait pris la précaution d'accrocher un tissu au sommet d'un arbre. Grand bien lui prit. Il choisit un monticule un peu éloigné comme deuxième repère. Tout à l'heure, il irait y faire une marque. Il plaça une grosse pierre blanche sur la grotte. Brahim venait d'inventer la triangulation.

Sa journée avait été très constructive. Il décida de terminer la journée en beauté, avec un bon repas.

Le lendemain fut consacré à la restauration du monastère. Le rythme était pris. Un jour d'exploration, un jour de travaux. Et Ataï, ce jour là, avait un jour de repos.

Les jours passaient, une vie simple, de plus en plus confortable au fur et à mesure des avancées des travaux, se dessinait pour Brahim. Cela faisait un certain temps qu'il n'était pas allé rendre visite à ses voisins. Mais il se devait de venir avec quelque chose de surprenant.

Après mûre réflexion, il enveloppa l'un de ses cimeterres d'un tissu bariolé et le plaça en travers de son dos. Le chien le suivit, et ne tarda pas à se laisser distancer suite à la capture suivie de la dégustation d'un gros lézard.

Comme à l'accoutumée, des guerriers entourant leur chef se précipitèrent à sa rencontre. Le visiteur les salua et, désignant le chef, tapota ensuite dans son dos et décrocha son présent. Il s'approcha lentement et remit le paquet dans les mains de l'homme noir. Celui-ci ne sut que faire à part regarder avec méfiance cette chose dans ses mains. Brahim lui fit signe de défaire le tissu. Ce qui fut fait avec une certaine circonspection. L'étonnement et la joie qui se lirent sur son visage n'étaient pas feints. Il était subjugué par la beauté du sabre. Les motifs inscrits sur la lame parfaitement polie, la poignée finement ouvragée, tout le ravissait. Il dit quelques mots de remerciement sur un ton très ému et invita Brahim à entrer dans le camp. Ils de retrouvèrent assis en cercle sur la place du village, les anciens ayant été conviés à la présentation du petit nouveau et les guerriers formant une couronne autour d'eux. Pendant ce temps, les enfants jouaient avec le chien.

Le chef se nomma en se tapotant le torse : Napanéba. Il eut un regard interrogateur vers son invité. Brahim se présenta en souriant. Chacun déclina son nom, Issa, Amadé, Ouédraogo, Moumouni, Traoré, etc., chacune également, Aida, Sira, Amy, Awa, Binetou, Lala, Fatou, Amina, Woury et Brahim se dit que certains avaient bien de la chance. Eux n'avaient qu'un nom à retenir. Il lui faudrait certainement plusieurs visites pour ne plus se tromper dans les identités. Il fut invité à un repas de fête qui se termina tard dans la nuit par des danses très énergiques. Brahim fut frappé par la beauté et le regard de braise de Sira. La jeune fille semblait loin d'être indifférente au jeune homme. Ils dansèrent longtemps l'un près de l'autre comme si de rien n'était. Le visiteur fut invité par Napanéba à passer la nuit sur place. Chacun s'efforçait d'apprendre des mots de la langue de l'« autre ». Au bout de quelques heures, ils avaient appris quelques mots essentiels : femme, eau, manger, boire, chasser, enfants, maison etc....

Brahim avait remarqué que l'eau était une denrée assez rare dans le campement. Il proposa avec force gestes et mots nouveaux que Napanéba et deux hommes viennent avec lui jusqu'à sa maison. Ils prirent quelques provisions et l'expédition se mit en marche.

Ataï restait discrètement en arrière, intimidé par ces hommes inconnus.

Lorsqu'ils arrivèrent au monastère, les hommes montrèrent un grand étonnement à la vue des bâtiments remis en état. Visiblement ils connaissaient le lieu mais, n'ayant pas l'habitude de vivre dans cet environnement, ils n'avaient certainement pas envisagé de s'en rapprocher. Brahim leur fit rapidement visiter son domaine et les amena au puits. Il tira de l'eau devant eux et rit de bon cœur en voyant leurs visages ébahis. Toujours par gestes et mimiques, il leur expliqua que ce puits était aussi le leur et qu'ils pouvaient y puiser quand ils voulaient.

Ces guerriers, si peu accueillants, ne comprenaient plus rien. Cet homme seul qui leur offrait des cadeaux, l'eau de son puits, alors qu'eux restaient toujours farouchement attachés à leurs maigres possessions n'entrait pas dans leurs schémas de pensée. Brahim se dit qu'ils commençaient peut-être à comprendre le sens du mot « partage ». Il sentait que les choses iraient aussi de mieux en mieux au fur et à mesure de ses progrès dans leur langue.

Les trois hommes rentrèrent au village annoncer la bonne nouvelle. Aussitôt, une dizaine d'hommes et de femmes, Sira en tête, se munirent de jattes et, sous la direction de Napanéba, se dirigèrent vers le monastère. Brahim ne s'attendait pas à une visite aussi rapide. Aussi, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il vit dans le groupe celle dont il était déjà sûr qu'un jour elle serait sa femme.

Pendant que les autres personnes de la tribu remplissaient leurs récipients, il prit à part Napanéba et Sira. Il la demanda en mariage au chef de la tribu. Celui-ci fit comprendre à l'amoureux que Sira avait un père et que c'était à lui qu'il fallait poser la question. Ils retournèrent tous ensemble au village et Brahim fit sa demande à Monsieur Père. Après quelques hésitations et palabres avec sa femme, vite interrompues lorsqu'il apprit que sa fille chérie deviendrait une princesse, il accepta. Le mariage eut lieu trois jours plus tard. Ils furent heureux et eurent deux enfants.

 

 

 

 

 

 

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